Résumé du projet de thèse

[Edit. : thèse soutenue le 16 septembre 2013, voir ici... et là]

[Titre provisoire] Trop de fonctionnaires ?
La question des effectifs de l’État dans la France du XXe siècle

La réduction du nombre de ses serviteurs est au cœur des réformes actuelles de l’État [1]. Pourtant, force est de constater qu’il n’existe encore à ce jour aucune véritable rétrospective chiffrée de l’évolution des effectifs réels. Lorsque l’historiographie économique et sociale a proposé des analyses quantitatives de l’État contemporain, elle s’est, jusqu’à présent, essentiellement focalisée sur la question des dépenses publiques [2]. Malgré un renouveau récent [3] de l’histoire ainsi que de la sociologie de l’État et son administration [4], le nombre des fonctionnaires reste un « non-objet historique ». Pourtant, de la fin du XIXe siècle à la fin du XXe siècle, il n’a cessé d’interroger les contemporains : combien sont-ils ? Sont-ils trop nombreux ? L’État en connaît-il seulement le nombre ?

L’objectif de cette recherche doctorale est de proposer une nouvelle histoire de l’État français contemporain, au prisme de l’évolution du nombre de ses agents au XXe siècle. Néanmoins, limiter l’interrogation sur l’État à l’évolution du nombre de ses fonctionnaires réduit singulièrement le champ de la réflexion. Comme l’écrivait déjà Pierre Rosanvallon il y a près de vingt ans, faire l’histoire de l’État contemporain, c’est se démarquer du «présupposé d’une histoire simple et évidente» selon lequel «l’histoire de l’État se confondrait avec celle d’une croissance, réalisée au détriment de la société », on ne saurait s’arrêter au bilan d’un État dont le volume aurait «triplé ou quadruplé, comme si cela suffisait à qualifier ses transformations.» [5]

Saisi par ses effectifs, l’État doit donc être réexaminé selon trois axes complémentaires et indissociables :
  • Une nouvelle approche de l’histoire intellectuelle [6] de l’État au XXe siècle : largement centrée sur les questionnements des contemporains sur le nombre des agents publics, elle permet de cerner l’influence de l’évolution (réelle ou perçue) du nombre des fonctionnaires sur la pensée politique, économique et juridique de l’État ;
  • Une nouvelle approche de l’État en fonctionnement : la question des effectifs constitue un angle intéressant pour évaluer le poids de divers acteurs dans la prise de décision publique. En posant notamment la question de la place du facteur « nombre des fonctionnaires » dans les multiples équations de la réforme de l’État, mais aussi celle de la façon dont les décideurs agissent sur les variations d’effectifs au cours du XXe siècle ;
  • Une nouvelle approche des fonctions de l’État : par une évaluation de la place des différentes missions de l’État à l’aune des secteurs privilégiés (ou non) en « moyens humains ». Cette variable apporte des compléments indispensables aux analyses menées depuis les années 1980 qui prenaient l’évolution des dépenses publiques comme seul facteur d’explication.
Une démarche basée sur ces trois axes doit permettre d’interroger le rapport de l’État au chiffre et, plus précisément, la question du «gouvernement par les nombres» [7] ; il convient en effet de poser la question de la finalité et de l’usage des savoirs que l’État produit, ou fait produire, sur lui-même. Cette approche de la question des effectifs de l’État a ainsi pour objectif de saisir les modalités possibles d’une interaction entre des chiffres (réels ou perçus), une politique (celle de la fonction publique), et des concepts, discours et représentations (politiques, institutionnels ou savants) [8].


[1] Voir le discours de Nicolas Sarkozy à l’Institut Régional d’Administration de Nantes, le 19 septembre 2007. La loi de finances de 2008 prévoyait 22 900 suppressions de postes ; Le 4 avril 2008, le gouvernement annonçait 35 000 suppressions pour 2009.

[2] Voir Jean Bouvier « Histoire financière et problèmes d’analyse des dépenses publiques », Annales. Économies Sociétés Civilisations, 33e Année, n°2, mars-avril 1978, pp. 207-215 ; Christine André et Robert Delorme, L’État et l’économie. Un essai d’explication de l’évolution des dépenses publique de la France (1870-1980), Paris, Le Seuil, 1983 ; Alexandre Siné, L’ordre budgétaire. L’économie politique des dépenses de l’État, Paris, Économica, 2006.

[3] En 1990, Pierre Rosanvallon pouvait encore qualifier l’État de « non-objet historique » : Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1990, p. 9.

[4] Marc Olivier Baruch, Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration. 1875-1945, Paris, La découverte, 2000 ; Françoise Dreyfus et Jean-Michel Eymeri (dir.), Science politique de l’administration. Une approche comparative, Paris, Économica, 2006.

[5] Pierre Rosanvallon, L’État en France…, op. cit., Paris, Le Seuil, 1990, pp. 11-13.

[6] Dans le sens que lui donne Jean-Claude Perrot, Une histoire intellectuelle de l’économie politique (XVIIe – XVIIIe siècle), Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Science Sociale, 1992.

[7] Expression empruntée à Alain Desrosières, Gouverner par les nombres. L’argument statistique II, Paris, Presses de l’École des Mines, 2008.

[8] En s’inspirant des orientations formulées par Paul-André Rosental, « Pour une histoire politique des populations », Annales HSS, n°1, 2006, pp. 7-29 (citation p. 24).